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Jef Aérosol, expressions en béton

Un pochoir dans la main droite, un mouchoir dans l’autre pour essuyer le bout pointu de ses boots en cuir. Jef Aérosol fait partie de la vague « guitare électrique », cette génération clash, pop’art et contre-culture des années 70. 

L’artiste inhale, le spray exhale

Parce qu’ils ont peur de la page blanche, les journalistes économisent leurs idées. Ils recyclent les petits papiers qu’ils ont laissé traîner dans le fond de leur gorge et parfois même, les mastiquent. C’est en souhaitant réutiliser mes plus belles tournures, mes allégories légères sur l’art de rue que je me rendais nerveusement à l’évidence : avec Jef Aérosol c’est une affaire d’univers. Habituée à dépeindre le monde des casquettes à l’envers et du hip-hop à l’endroit, les influences de Jean-François Perroy de son véritable nom, sont de toute autre envergure. Il est l’enfant salué des copains, enfant nantais d’une culture rock et des vinyles qui crépitent sur le tourne-disque. Sous le bruit des billes des bombes aérosols, il a investi la rue par l’art de sa démarche au début des années 80. La technique du pochoir est alors peu répandue, surtout en province. Ses images graphiques vont apparaître sur le plastron bétonné de la ville de Tours. C’est là-bas, emménageant ses pochettes et ses classeurs pour devenir professeur d’anglais, que la peur d’une perte soudaine de liberté le fait exalter.

Repeindre la face de l’art

Peut-être que l’art est un moyen de se rebeller contre la solitude, l’illégalité un moyen de la remplir d’ivresse. Ses influences artistiques mûries lors d’une année passée en Irlande s’agiteront sur la toile des boulevards. Des vapes de pochettes d’albums des Clash, d’Hendrix, des Rolling Stones : un joyeux harem folk, punk et rock. Mais l’histoire débute dans le flash des photocopieuses, des portraits de lui-même qu’il capture clandestinement dans les bureaux qu’il surveille, ces petits jobs de nuit. Il en fait des pochoirs, comme des œufs, séparant le blanc du noir pour donner à l’image une profondeur de champ et de sentiments : l’attrait du portrait.

Panser les murs

Les graffs partagent la même exclusivité, l’humanité. Anonymes ou personnages connus se retrouvent ensemble au pied du mur. Jef Aérosol a bâti, depuis, un océan de visages où tout le monde est V.I.P. : Very Important Pochoirs. Ce que l’artiste recherche c’est l’unicité dans l’expression des sentiments et la pluralité dans les commentaires des passants. Une diversité des langues qui se fourchent à l’étranger quand l’artiste part pulvériser la muraille de Chine avec son célèbre « Sitting’ kid » ou lorsqu’il rassemble Edgar Poe et John Lee Hooker à Boston. Jef on le reconnaît à son béret, et son travail à sa flèche. Depuis 1986 cette signalétique nous fait tomber dans le panneau. Controversée, la technique du pochoir dans le milieu, l’artiste vous la fera ravaler. Jef Aérosol déboutonne les manchettes de son tailleur en velours, pour dégainer à la nuit tombée son pulvérisateur comme un 6.35 au-dessus du dessin minutieusement taillé. Maintenant, qui regarde l’autre ? Le passager curieux ou la peinture fraîche ?

Jef Aérosol « People & things » du 10 mars au 8 avril 2017
Galerie David Pluskwa
53 rue Grignan, Marseille 6ème

TEXTE _Julie Mandruzzato
PHOTO en UNE _Pib (La Voix du Nord)