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Le canal de Marseille : de la Durance au palais Longchamp

Qui, en sillonnant nos belles routes de Provence, ne l’a jamais aperçu ? Au détour d’une pinède, d’un sentier de randonnée, d’un quartier résidentiel (allez vers la Grotte Rolland, la Barasse ou encore la Treille), d’un parc public (songez à la Campagne Pastré !) ou d’un visionnage du Château de ma mère de Pagnol, on le voit qui serpente silencieusement, traverse et quadrille la ville, en y acheminant notre bien commun le plus précieux (ou presque) : il s’agit bien sûr du canal de Marseille. 

L’histoire n’est pas si anecdotique qu’on pourrait le croire : c’est, en effet, au canal de Marseille que l’on doit la modernisation de l’infrastructure hydraulique de la ville et son approvisionnement en eau potable (qui, paraît-il, est l’une des meilleures de France). Des raisons suffisantes pour vous embarquer à bord d’une croisière sur le canal le plus emblématique de la cité phocéenne. 

 

L’eau potable à Marseille : une denrée rare 

Enclavée entre mer et montagne, Marseille a jadis souffert de son manque d’accès à une eau potable, susceptible d’être consommée par ses habitants. Durant l’Antiquité et le Moyen Âge, le système d’acheminement de l’eau est des plus rudimentaires : construction de puits pour capter les nappes phréatiques, installation de citernes, construction d’aqueducs et de bassins d’eau douce pour capter l’eau pure des alentours… Ces solutions se révélèrent rapidement insuffisantes face à l’essor urbain de la ville : enclavée, densément peuplée, endurant un climat chaud et sec, Marseille ne dispose que de peu de ressources en eau douce. Ainsi, l’Huveaune, qui puise sa source dans le massif de l’Étoile et de la Sainte-Baume, et son affluent, le fameux Jarret (davantage connu comme un grand axe routier de Marseille que comme une rivière), ne suffisent plus à assurer l’approvisionnement en eau potable d’une ville qui se densifie et s’agrandit dès le xviie siècle. Si l’Huveaune permettait de fournir aux Marseillais 75 litres d’eau par personne et par jour en moyenne (la consommation moyenne actuelle est de 150 litres), tant sa qualité que sa pérennité faisaient défaut. Polluée, l’Huveaune a également souffert, en 1834, de la sécheresse qui réduisit la part d’eau potable consommable à la portion congrue d’un litre par personne et par jour, sans parler de l’épidémie de choléra qui s’ensuivit. 

La quête d’une eau pure 

Marseille avait, alors, plus que jamais besoin d’un système d’approvisionnement en eau potable fiable, pérenne et suffisamment important pour alimenter l’ensemble des Marseillais. Comme il fallait aussi une eau pure, idéalement puisée au cœur des montagnes et de la haute-Provence, alimentée par la fonte des neiges, la Durance fut la mieux placée pour satisfaire cet objectif :  Maximin Dominique Consolat, maire de Marseille de 1832 à 1843, décida en 1834 que « quoi qu’il advienne, quoi qu’il en coûte » il ferait venir à Marseille l’eau de la rivière la plus proche, la Durance, pourtant lointaine et séparée de la ville par de nombreux chaînons montagneux (chaîne des Côtes, plateau de l’Arbois, massif de l’Étoile). L’eau devait être captée à un point suffisamment culminant, sur la Durance, pour pouvoir, par simple application de la gravité, effectuer tout le parcours, contournant ou traversant les collines intermédiaires, et descendre jusqu’à Marseille, à Saint-Antoine, point culminant de la ville (avec une altitude de 150 mètres), de manière à la desservir en totalité. Ce qui fut dit fut fait et les travaux débutèrent en 1839 sous la houlette de l’ingénieur Franz Mayor de Montricher.

Une prouesse du génie civil 

Faire venir l’eau de la Durance à Marseille ne fut pas une sinécure : contourner les massifs, creuser des souterrains, construire des ouvrages d’art, aménager les berges, protéger le passage du canal, renforcer l’infrastructure… quinze années furent nécessaires pour que s’étalent les 80 kilomètres (dont 20 de souterrains) du canal. Le canal de Marseille n’étant pas un long fleuve tranquille, il fallut, pour enjamber la vallée de l’Arc et permettre au canal de relier les deux plateaux environnants, bâtir l’aqueduc de Roquefavour, œuvre architecturale inspirée du pont du Gard romain et considérée depuis comme un des monuments à visiter dans la région aixoise. L’aqueduc a une longueur de 393 mètres et le canal passe à 82,65 mètres au-dessus de l’Arc.

Les matériaux de construction utilisés furent le béton pour le canal, la pierre et la brique pour les ouvrages aériens. Côté technique, le débit de cet ouvrage est de 10 m3/s, sa largeur au sommet de 9,40 m et sa largeur à la cunette de 3 m. Puisant sa source près de Pertuis, il serpente à travers les collines en passant au-dessus de la Roque-d’Anthéron pour bifurquer vers le sud en passant sous un long tunnel traversant la chaîne des Côtes. Il traverse ensuite les vallons depuis Lambesc jusqu’à Coudoux, Ventabren, puis arrive au-dessus de l’Arc qu’il franchit par l’aqueduc de Roquefavour en arrivant vers Aix-en-Provence et le plateau de l’Arbois. C’est en prenant le TGV entre Avignon et Marseille que vous aurez le plus de chance de l’admirer dans son jus. Il arrive, ensuite, aux Pennes-Mirabeau puis franchit la frontière marseillaise en desservant Saint-Antoine pour filer, enfin, vers le palais Longchamp. 

L’arrivée de l’eau à Marseille 

C’est ainsi que, le 19 novembre 1849, l’eau de la Durance arrive à Marseille, au plateau Longchamp, à une hauteur de 150 mètres. On doit la construction du palais Longchamp, sous le coup de crayon d’Henri-Jacques Espérandieu (voir rubrique Histoire sur www.toutma.fr), à l’arrivée des eaux de la Durance à Marseille : cet événement valait bien un petit palais. Avec la construction du canal et malgré un doublement de la population en quarante ans, les 321 000 Marseillais que compte la ville disposent en 1876 de trente fois plus d’eau par jour et par habitant : 370 litres pour l’usage domestique et 660 litres pour les activités industrielles. De quoi atténuer la dépendance à l’Huveaune et au Jarret.  De 1854 à 1869, 77 kilomètres de canalisations et de nouveaux bassins réservoirs furent construits pour permettre l’acheminement de l’eau sur l’ensemble du territoire de Marseille, incluant les communes avoisinantes. Le canal est devenu un incontournable : il peut s’observer de quasiment partout dans la ville, tant il la sillonne. De Saint-Antoine, un premier embranchement part à l’ouest en direction de l’Estaque. Le canal principal contourne le vallon des Aygalades et s’accroche aux flancs de la chaîne de l’Étoile en direction de l’est. Au lieu-dit du Four de Buze, dans le 14e arrondissement, le canal se subdivise en deux. La branche principale au sens historique part vers le sud, alimente le réservoir du Merlan et, de là, descend vers les Chutes-Lavie et le palais Longchamp. L’autre branche poursuit sa route vers l’est, continuant à longer les collines en vue de desservir la partie périphérique de la ville qu’elle va contourner jusqu’au sud. Le canal traverse Château-Gombert, fait le tour de Plan-de-Cuques, passe au pied d’Allauch, et revient sur les Olives. Il passe en tunnel sous les Trois-Lucs, puis laisse un embranchement à l’ouest vers Saint-Julien, et le réservoir de Saint-Barnabé, et un autre vers les Camoins et Aubagne à l’est. Il contourne la Valentine, traverse la vallée de l’Huveaune, puis repart en direction de l’ouest : la Valbarelle, Saint-Tronc, la Campagne Berger, le Redon, Mazargues, la Campagne Pastré et, enfin, la Madrague-de-Montredon. Il termine son parcours à une altitude de quelque 10 mètres, avant de se jeter dans la mer, au mont Rose, ayant approvisionné en eau tous les quartiers de Marseille.

Le canal aujourd’hui

Si, jusque dans les années 1970, le canal fut la quasi unique source d’approvisionnement en eau potable de la ville de Marseille, il n’en fournit, aujourd’hui, plus que les deux tiers. Le canal de Provence, construit à cette époque, double le réseau existant d’un maillage de canaux essentiellement souterrains, puisant l’eau du Verdon (affluent de la Durance) en alimentant Marseille mais aussi Aix et Toulon. Les deux ressources sont interconnectées, ce qui assure la sécurité de l’approvisionnement. 

Au-delà du réseau, c’est la question de la gouvernance d’un ouvrage aussi essentiel pour la vie des Marseillais qui se pose : de sa livraison en 1849 jusqu’à 1941, le canal a été géré par la Ville de Marseille. En 1941, suite à l’incendie des Nouvelles Galeries, la gestion de l’eau de la ville, et donc du canal, est confiée à la Société d’études des eaux de Marseille (SEEM). En 1943, selon une convention de type « régie intéressée », la Ville de Marseille, qui reste propriétaire des ouvrages, en confie l’exploitation à la SEEM. Celle-ci devient officiellement la Société des eaux de Marseille (SEM) le 1er mars 1943. Depuis, la Société des eaux de Marseille, détenue par Veolia (ex-Compagnie générale des eaux), devenue le Groupe des eaux de Marseille, gère le canal, qui reste le ciment de la distribution d’eau potable dans la ville et dans de nombreuses communes environnantes.

C’est cette gouvernance de l’eau potable marseillaise qui, en alliant infrastructures, acteurs économiques et consommateurs, devra s’assurer de la qualité du bâti et de l’eau, à l’heure du changement climatique, des catastrophes naturelles, des sécheresses, des modifications du cycle de l’eau (et de la neige en montagne !) et de leurs conséquences sur les ressources en eau potable. Gageons que les Marseillais puissent, encore longtemps, se targuer d’avoir la meilleure eau de France.

 

TEXTE _Romain Bony-Cisternes