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La sélection littéraire de la rédaction – octobre 2019

 

Edmonde, de Dominique de Saint Pern

Edmonde Charles-Roux demeure l’une des personnalités historiques les plus fascinantes de Marseille. Infirmière de guerre, résistante, journaliste de mode, académicienne… on ne saurait par quel bout aborder sa vie. Et c’est là que Dominique de Saint Pern nous est d’un grand secours. La romancière fait le choix de centrer sa biographie sur la période 1938-1944 (jusqu’au débarquement de Provence, chapitres haletants), et c’est très malin parce qu’on y voit les germes de toutes les vies qu’Edmonde, femme plurielle, s’apprête à embrasser. Au-delà du magnétisme de son héroïne, le roman nous propose un point de vue rarement mis en avant dans les récits sur la guerre de 1939-1945, celui d’une grande bourgeoise aux prises avec des contradictions de poids (son père travaille pour Vichy jusqu’à l’entrevue de Montoire, son amant s’enrôle dans l’armée fasciste malgré leur aversion commune pour Mussolini, etc.) qui feront d’elle un excellent agent de renseignement pour la Résistance, fréquentant les salons quand d’autres prenaient le maquis ! Le récit n’est pas sans rappeler De guerre lasse, de Françoise Sagan, il y a des comparaisons moins flatteuses…
416 pages, Stock _21,50 €

 

Pour L’amour de Marseille, d’Alexandra Apikian

Voilà un bel exercice de style ! Déjà auteur d’un city guide de forme plus classique sur sa ville natale, Alexandra Apikian nous emmène cette fois-ci dans une chouette balade à travers Marseille, où le lecteur incarne le rôle d’un interlocuteur… On parcourt ainsi tous les quartiers de la ville, s’arrêtant ça et là pour des explications et des descriptions simples mais détaillées, racontées sur le ton de la conversation. Une conversation évidemment fictive dans laquelle l’auteur fait les questions et les réponses, un genre ultravivant et émoustillant. Une lecture très amusante au cours de laquelle on apprend plein de choses intéressantes, même si on est marseillais…
80 pages, édition Magellan & Cie _10 €

 

Le Cid des Martigues, d’Antoine Stamatakis

Certains, mal renseignés, crieront à l’outrage. Quoi ? Réduire le dilemme tragique à une partie de pétanque ? Rabaisser le grand Corneille au niveau du boulodrome ? Mais ce serait le croire plus sérieux qu’il ne l’était, ce diable baroque qui régala aussi le xviie de comédies. Le Cid, celui de Martigues donc, est un bouliste gouailleur, résolu à défendre l’honneur de son père dans un tournoi de pétanque, et qui décoche, malheureux, une boule de métal sur le crâne de Gomès, son adversaire et le père de sa fiancée. La transposition, pleine d’espièglerie, fonctionne. On se prend au jeu de l’exercice de style, guettant le travestissement des répliques apprises par cœur à l’école et déclamant les alexandrins avec l’accent (tant pis pour la prosodie et les « e » muets) !
119 pages, Éditions du Panthéon _11,90 €

 

A Week Abroad – Marseille

Parce qu’on a toujours tendance à ramener les choses à soi, on aurait bien envie de dire au sujet d’A Week Abroad – Marseille que c’est ToutMa dans un livre. Mais ce serait faire une injustice au travail de Charlène Lambert, éditrice et créatrice du projet. Le concept est aussi simple qu’efficace : offrir à des lecteurs curieux un guide touristique qui les amène à vivre la ville (ici Marseille, évidemment) comme un local. On part donc à la rencontre d’entrepreneurs, d’artisans ou tout simplement d’habitants qui nous racontent leur parcours de vie, tout en nous faisant part de leurs recommandations en matière de sorties, de restaurants, de promenades nature ou encore de shopping. Le livre lui-même est élégamment ouvragé (couverture texturée, embossage…) et les photos à l’argentique ont un charme fou !
_www.aweekabroad.com
Guide bilingue français/anglais, 114 pages _16 €

 

Rétine, de Théo Casciani

Prendre le parti d’écrire un roman sans dialogues, à une époque bruyante comme la nôtre où les écrans et autres messageries instantanées redoublent les possibles de la conversation, voilà qui paraît au mieux génialement incongru, au pire cruellement artificiel. Mais avec Rétine, Théo Casciani, néomarseillais, dépasse largement le cadre de l’écriture sous contrainte. On comprend très vite qu’il a lu ses classiques, de Huysmans à Flaubert en passant par l’Oblomov de Gontcharov, pour camper adroitement un narrateur passif et s’affranchir de ses modèles. Tout est affaire de regards, d’images qui se fixent sur sa rétine et qu’il s’agit de déchiffrer, dans un chassé-croisé amoureux mâtiné d’art contemporain, entre la France, l’Allemagne et le Japon. Aesthetics, dit le narrateur en parlant de l’empire du Soleil-Levant. On en dirait autant pour ce premier roman, dont, une fois la dernière page tournée, il reste quelques très belles images, qui jouent dans notre imagination à faire de la persistance rétinienne.
284 pages, P.O.L _19,90 €