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Nicolas Jurnjack, floraison capillaire

À la page d’un temps où l’industrie de la mode semblerait manquer de ton, Nicolas Jurnjack est le sculpteur des coupes colorées à l’encre des couvertures qui font fortes impressions. Après trente ans de conversation avec le cheveu, le coiffeur originaire de Marseille s’est décidé à en entamer une avec la publication. Un hommage sans image, premier du genre, il a publié « In the Hair » un livre dialogue partagé entre anecdotes et philosophie du métier.

 

 

Friser la chute, boucler les bouches

Plusieurs fois, j’ai voulu jeter l’éponge. Je me suis retrouvé sur un banc de la gare de Lyon, prêt à prendre le premier train pour Marseille. » Qui aurait pensé que l’homme collaborant avec les grands de la mode – ceux qui la font – et embellit les couvertures des magazines Vogue, Elle ou encore Harper’s Bazaar, serait passé par là ? Passé par rien avant Paris.

« In the Hair » offre un regard lucide sur la trajectoire personnelle du coiffeur, une liberté de ton sur un métier parfois occulte.

Il atterrit dans la coiffure à l’âge de 17 ans poussé par l’indécision des quartiers, et le hasard, cette chance des obstinés. « C’était plus que de l’ambition, ce fut une revanche sur l’injustice sociale ». À l’époque, quand le monde des possibles s’offre à lui, il est simplement apprenti dans un salon de coiffure à Marseille. C’est l’été, et l’équipe du magazine Elle recherche un coiffeur d’urgence pour une séance photo. Il y entrevoit une autre facette du métier et part pour Paris, où la survie devient capitale. La ville est grise, elle coule à torrent de négation. Mais à l’intérieur de son petit studio, Nicolas se fourche dans l’obstination, s’exerçant à reproduire sur des têtes en plastique les techniques et les coupes des magazines.

L’appel entrant provient de New York, Nicolas Jurnjack est un peu homme d’affaires : il balade ses mallettes et son mobilier, ses ciseaux et son fer à lisser aux quatre coins du monde. « Oui, allô ? ». Sa voix claque dans l’air, énergique, comme le cheveu, elle est matière vivante. Cette semaine en plus d’un show à préparer, son livre paraîtra sur le marché américain, l’occasion de cisailler l’homme de questions. « Ça fait depuis les années 95 que l’on me propose des coffee-tables pour évoquer ma carrière, dans ce livre, j’avais envie de parler d’un peu de tout.» Construit à partir d’entretiens avec Paul Pommiers, un historien d’art passionné par les questions d’esthétique contemporaine, « In the Hair » offre un regard lucide sur la trajectoire personnelle du coiffeur, une liberté de ton sur un métier parfois occulte. « Il faudrait redonner de l’espoir à la jeunesse, parce qu’elle ne sait plus ce qu’elle doit faire. La société n’arrête pas de construire des chimères, mais les gens n’y croient plus » nous répond-il alors que nous lui demandons s’il pense que les jeunes ont conscience des autres aspects du métier. « C’est un métier pauvre, coiffeur, comme le cordonnier. Je ne suis parti de rien, en trimballant cette étiquette, cette odeur que je n’ai jamais pu m’enlever. Les HLM où j’ai grandi à Marseille, c’est un univers bien éloigné de celui de la mode, mais c’est peut-être là qu’ont démarré les ambitions. Avec du recul, j’ai réalisé que le problème c’est souvent nous-mêmes, pas l’endroit où l’on est. » Nicolas avait envie de passer un message à une génération qui ne voit plus son futur. « Rien n’est facile. C’est un métier où il faut savoir séduire, composer avec les egos. »

Perruques à la Française

Et composer avec les tonalités des femmes. Des créations blondes, brunes ou rousses sur des chevelures tacites ou des mèches un peu folles. Concilier l’art et la mode au royaume de la beauté. « L’allure. Oscar Wilde aurait dit son pouvoir d’apparition ». Adriana Lima, Naomi Campbell ou Laetitia Casta ne sont que l’infime pourcentage des « femmes du monde » passées sous ses mains, qui nous font tourner la tête.

Alors qu’il a beaucoup voyagé et vécu dans de nombreux pays, Nicolas fait souvent référence au savoir-faire français et « à la Française ». Nous lui demandons si finalement, il est possible de s’en détacher ? « La mode s’est américanisée. Tout le monde fait pareil, l’originalité se perd. Je pense qu’il ne faut absolument pas oublier l’esthétisme français, malheureusement de plus en plus disparate dans les écoles. » Mais c’est quoi le charme français ? « La Brésilienne, par exemple, va être sexy en jouant sur ses formes et ses fesses. L’Anglaise ce sera avec une mini-jupe et beaucoup de maquillage, mais elle fait très « cheap ». L’Italienne, elle, est trop séduisante mais en revanche, la Française, aura a le bon ton, la bonne mesure. » Assurément, l’homme porte le flambeau dans les studios, propageant le chic français sur les crinières flamboyantes, et partout là où l’industrie de la mode s’enflamme encore à la vue de ses créations.

Désormais, si les coiffeurs entendent tout, ils font aussi parler d’eux. « Mon livre risque de faire du bruit dans le milieu, généralement un coiffeur bâtit une image mais il ferme sa bouche. »  En attendant, lave fluide échappée d’un magma d’idées, sa carrière s’épanouit sous l’effet d’une substance créative. Nicolas Jurnjack a de nombreux projets. Il fera partie du prochain film dédié à la carrière du défunt Alexander McQueen, l’enfant terrible de la mode, avec qui il avait collaboré. Quant au futur ? Sur son vélo, arpentant les rues de Manhattan, il s’éprend parfois à rêver d’une place de directeur esthétique et imagine sa propre gamme de produits cosmétiques bio : même avec le trafic new yorkais, on n’arrête pas une roue qui tourne.