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René Frégni, l’évasion par les mots

L’auteur de Manosque « trempe sa plume dans la vie »  pour raconter des histoires. Dans son dernier ouvrage, Les vivants au prix des morts, fiction et vécu se côtoient sans cesse. Son écriture est puissante, épurée, animale mais aussi sensuelle et poétique. Du roman noir qu’il affectionne, René Frégni sait faire surgir la lumière. L’intrigue haletante de ce dernier livre laisse place à des moments de grâce où l’on perçoit le frémissement des arbres, l’odeur des pins, les collines de l’arrière-pays provençal. Entraînés dans sa lumière, accrochés aux mots, on ne peut que s’abandonner.

Sauvé par les mots

Né à Marseille l’été 1947, le jeune René, après une enfance chaotique, est accusé à 19 ans d’avoir déserté. « J’étais dans une prison militaire, un brave aumônier m’a apporté des livres. J’ai découvert la lecture, moi qui avais été viré de tous les lycées de Marseille. Pendant six mois dans cette cellule, j’ai lu. L’aumônier continuait de m’apporter, chaque semaine, de vieux livres qui partaient en lambeaux, rongés par l’humidité de cette prison dans la Meuse. Je suis devenu écrivain grâce à ces lambeaux de livres. J’ouvrais un livre et c’était comme si l’aumônier m’avait donné les clés de la prison, je partais en voyage »… Ces mois de détention lui ont donné la passion des mots.

Le roman noir

Ses livres (une vingtaine) paraissent aujourd’hui dans une grande maison d’édition, sont traduits dans six langues et reçoivent régulièrement des prix littéraires. « Avec l’écriture, je vis deux fois. Une première dans le monde et une seconde dans l’écriture où j’oublie que je suis mortel. Je suis ce que je décris : un arbre, le chat qui passe, la femme que j’ai vue le matin ». Dans le roman noir, l’écrivain voit toutes les facettes de ce que nous sommes. « C’est ce que nous rêvons la nuit, des rêves pulsionnels, érotiques ou alors nous rêvons que nous sommes poursuivis, assassinés ou même que nous sommes des assassins. Nos pulsions ressortent la nuit qu’elles soient de l’ordre du plaisir ou de la peur ».

La transmission

Cette part d’ombre, il la retrouve aussi dans les prisons où pendant 20 ans, il a animé des ateliers d’écriture pour les détenus. « En essayant de trouver la part d’humanité qui est en eux, je trouve la part de criminel qui est en moi. Cette part d’ombre, je la mets dans mes romans ». Mais surtout, René Frégni leur ouvre les portes de la liberté en infiltrant les mots dans les prisons. L’auteur en parle dans son dernier ouvrage tout en dénonçant une industrie de la violence et du désespoir : « J’apporte les clés et personne ne s’évade… Personne ne naît monstrueux… Je ne leur apporte aucune arme, je leur apporte des mots. Je leur apporte ce qu’ils n’ont jamais eu ». Pour l’écrivain « il faut mettre à profit ce temps de prison pour renforcer ce qu’il y a d’humain en eux.  Voilà ce que je fais depuis des années ». 

La persécution 

Un jour sombre de 2004, la fiction s’est emparée de sa vie et l’écrivain a vécu heure par heure ce qu’il avait imaginé dans son livre Lettres à mes tueurs. « L’histoire d’une garde à vue durant trois jours et que j’ai complètement inventée. Six mois après, à six heures du matin on a sonné chez moi, six policiers ont fait irruption, m’ont mis les menottes aux poignets devant ma fille et j’ai vécu trois jours et trois nuits de garde à vue, comme je l’avais raconté, sous terre, à l’Évêché ». Accusé à tort de blanchiment d’argent sale, l’écrivain raconte cette dernière persécution dans un roman sublime Tu tomberas avec la nuit, paru en 2008. L’écriture le sauve à nouveau, seule arme lui permettant de dénoncer l’erreur judiciaire. Aujourd’hui « mon métier est d’inventer des histoires, pas de les vivre » raconte l’homme dans son dernier ouvrage.

De la fureur de ses livres surgit son tempérament ardent, attiré par la lumière, la beauté des femmes et la puissance de la nature qu’il décrit à la Giono – auteur qu’il adule – avec cette magnifique capacité à s’émerveiller, voir le beau en toute chose. Pourtant l’urgence de son écriture, tout comme son regard scrutateur évoquent toujours la fuite, l’évasion, la traque d’un homme aux yeux éblouis par les phares d’une voiture en pleine nuit…

Les vivants au prix des morts
Éditions Gallimard _www.livres-fregni.org