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Les santonniers de Provence, gardiens d’une tradition séculaire

Le 61e Salon international des santonniers se tient à Arles jusqu’au 13 janvier 2019. Plus importante exposition du genre en Europe, ce salon constitue, depuis 1958, un incontournable de cet art typiquement provençal. Et ce n’est pas Marseille, une fois n’est pas coutume, mais Arles qui sera proclamée capitale du santon de Provence. Avec l’arrivée des festivités de fin d’année, à l’heure où fleurissent les marchés de Noël dans toute notre région, nous avons décidé de vous conter l’histoire ancienne des santonniers de Provence.

 

Car derrière ces statuettes moulées dans l’argile, qui nous émerveillent depuis le Moyen-Âge et nous rappellent à nos bons souvenirs d’enfance, se cachent de grands artistes qui, s’ils demeurent largement méconnus du grand public, sont dépositaires d’une tradition et d’un art séculaires. À tel point que, face à l’influence grandissante des « industries de Noël », il fallut, dès les années 1960, promouvoir le métier de santonnier et ses créations au travers de structures capables d’en assurer la rayonnement, ce qui fut fait avec le salon, fondé par l’un des plus célèbres (quoique peu connu) santonniers de Provence, Marcel Carbonel, qui souhaitait « qu’il y ait en Arles, capitale spirituelle de la Provence, une représentation permanente de nos santons dans le but d’une confrontation artistique féconde ». 

Arles n’est, pour autant, pas la seule vitrine de l’art santonnier. En témoigne la vivacité des manifestations organisées dans la ville de Pagnol, Aubagne, dont le proche massif de l’Étoile constitue une source d’inspiration certaine, et qui accueille la Cité de l’art santonnier.

Un savoir-faire ancestral 

Alors, qui sont-ils, ceux dont on connait les créations mais rarement les visages ? Restent-ils à l’écart des foules qui investissent les marchés de Noël, dans le confinement de leur atelier, travaillant patiemment l’argile, ou assurent-ils la promotion de leur art, menacé par la production industrielle ? 

Ce sont avant tout des artisans, dont le très petit nombre, conséquence directe du caractère atypique et ancestral de leur savoir-faire, nous donne à penser que leur talent relève davantage du don que d’un véritable apprentissage artisanal. Il existe même une fameuse Confrérie nationale des métiers de l’art santonnier… Ne maîtrise pas l’art du « santoun »
(petit saint) qui veut. 

De nos jours, on compte environ 150 santonniers dont la majorité se trouve à Aubagne, qui compte quinze ateliers. Ce sont essentiellement des entreprises familiales de très petite taille. À travers l’histoire des familles de santonniers, c’est tout un pan de l’histoire de Provence, depuis le XIXe siècle, qu’on peut apercevoir. 

Les principales qualités du santonnier se mesurent à l’aune de son intérêt pour le travail de la terre, son habileté manuelle et sa précision. Il n’existe aucune formation au métier de santonnier d’art, ce savoir-faire se transmet essentiellement au sein de la famille et ce dès le plus jeune âge. Cependant, quelques formations de tournage en céramique, de décoration ou encore de modèles et moules existent et peuvent aider à la pratique du métier.

Marcel Carbonel (1911-2003), dont le petit-fils Philippe Renoux-Carbonel poursuit aujourd’hui l’œuvre, est le santonnier le plus célèbre de ces dernières décennies. Fidèle aux valeurs du santonnier traditionnel, il a développé une véritable entreprise, par essence lucrative, et a réussi le pari de produire une quantité importante de santons tout en préservant les méthodes ancestrales qui permettent de garantir à son travail une réelle qualité artisanale. 

Au départ de cette aventure, il s’installe avec son épouse dans un petit atelier de la rue Fort-Notre-Dame à Marseille. Il emploie pour le seconder deux décoratrices ainsi qu’un mouleur et l’entreprise rencontre, peu à peu, le succès. En 1938, la famille remporte le premier prix du Concours de parures de France, catégorie santon. Mais c’est après-guerre que l’entreprise connaît un véritable essor grâce à la standardisation des pièces et au bouche à oreille. L’atelier prospère et s’installe, en 1946, rue du Commandant de Surian. Grâce au talent des artistes, le métier de santonnier commence à être reconnu. En 1995, la collection de santons des Ateliers Marcel Carbonel est riche de plus de 700 modèles différents, devenant ainsi la plus importante de Provence. Aujourd’hui, l’entreprise installée rue Neuve Sainte-Catherine compte près de 80 employés, produit plus de 350 000 santons par an, dont 30 % sont exportés en Europe, aux États-Unis, au Japon… 

Un art à défendre

L’art santonnier rayonne bien au-delà de la maîtrise des techniques de sculpture de la terre. Il exige, outre la minutie et la précision de l’artisan, cantonné au travail sur de petites surfaces, la fabrication de la vêture des personnages et une reconstitution physique (décors, habitations, paysages) aussi bien qu’historique. Pour ces raisons, il est rapidement apparu primordial de protéger ce savoir-faire des reproductions édulcorées réalisées par une industrie de Noël peu soucieuse des traditions.

Il fallut donc créer des structures permettant aux santonniers de se regrouper et d’unir leurs forces pour faire reconnaître leur art et le défendre. Plusieurs actions furent entreprises en ce sens. Les santonniers se constituèrent, dans un premier temps, en un syndicat. Sa présidence fut, à partir de 1947 et pendant 21 ans, assurée par Marcel Carbonel, dont la notoriété et l’audace se révélèrent les meilleures ambassadrices de l’art du santon. La visibilité induite par la création de ce syndicat lui permit d’obtenir une consécration officielle avec l’entrée de l’art santonnier à la Sorbonne, alors qu’il était lui-même décoré du titre de Meilleur ouvrier de France, en 1961. 

Toute ces évolutions soulignent l’ampleur du chemin parcouru depuis le XIXe siècle, où les santons se vendaient essentiellement sur les marchés locaux ou par bouche à oreille. Le métier de santonnier, circonscrit aux ateliers tapis au fond de la Provence montagneuse, où les hivers sont rigoureux, était encore confidentiel.

Et c’est justement sous l’effet des actions de promotion de cet art entreprises par les plus hardis d’entre les artisans que la profession a acquis une certaine forme de notoriété. Celle-ci a permis à des artistes du monde entier d’échanger sur leurs savoir-faire respectifs. En témoigne le Salon international des santonniers, qui illustre parfaitement l’ouverture, désormais indéniable, du secteur. Cette année, c’est l’Asie qui sera mise à l’honneur. 

Avec les pays asiatiques, où les chrétiens sont présents depuis le IVe siècle, le salon chemine sur le sentier mondial des crèches, source d’inspiration qui paraît de plus en plus inépuisable. Lorsqu’il vivait au Vietnam, l’auteur de ces lignes vous assure avoir contemplé, en plein cœur d’Hanoï, la crèche de la cathédrale Saint-Joseph mettant en scène des santons fraîchement débarqués… de Marseille !

Entre tradition et modernité, l’art santonnier n’en finit pas de nous étonner. Des contreforts du mont Ventoux à Tokyo en passant par le Vatican, une seule motivation anime cette petite bande d’artistes passionnés, peu habitués à être sous le feu des projecteurs, qui ne se reconnaissent que dans leurs valeurs. Ces valeurs, sont, d’ailleurs, désormais figées dans le marbre puisqu’une charte du santonnier, aux allures de Dix Commandements, proclame que « dans le respect de la création artistique originale, pour promouvoir notre culture et notre patrimoine régional, les Compagnons santonniers et créchistes de la Confrérie nationale des métiers de l’art santonnier s’engagent à fabriquer en France et dans leurs ateliers, à créer leurs modèles originaux, à utiliser de l’argile et des matériaux naturels pour la fabrication des santons et des crèches ».

Un engagement bienvenu à l’heure de l’internationalisation, où il fait bon rappeler que les santons sont, et resteront toujours, provençaux.

 
Agenda de l’art santonnier Automne-Hiver 2018-2019

61e Salon international des santonniers
Arles, du 17 novembre au 13 janvier

Foire aux santons, Aix-en-Provence,
Cours Mirabeau, du 23 novembre au 4 janvier 

Marché au santon et à la céramique, Aubagne
Cours Foch, du 17 novembre au 30 décembre

…et bien d’autres _www.santounette.fr

Sans oublier une liste (non-exhaustive) des ateliers existants
_www.tourisme-paysdaubagne.fr

 

TEXTE _Romain Bony-Cisternes
Photos des santons _Santons Marcel Carbonel
www.santonsmarcelcarbonel.com